#1 Critiques BD : Le Singe / In Waves / Taïpi
Titre : Le Singe
Auteur : Milo Manara sur scénario de Silverio Pisu
Editeur : Glénat
Date : 1980
Note : 6/9
Avis : Le singe est un album qui propose une réinterprétation très libre d’un célèbre conte chinois intitulé « La Pérégrination vers l’Ouest ». Le scénario complètement déjanté (pour ne pas dire totalement perché) sert des planches en noir et blanc visuellement somptueuses. Certaines fois anarchiques, d’autres très organisées, elles impulsent aux personnages un réel dynamisme et fourmillent de détails. On y remarquera aussi un goût prononcé pour les nus féminins et l’influence manifeste de la BD érotique sur Manara. Cette BD est donc pour moi une véritable claque visuelle. Le scénario déroutant, dans lequel il est compliqué au début de se plonger, est en fin de compte un joli prétexte aux digressions graphiques de Manara. Ce conte traditionnel revisité à la sauce contemporaine (on y parle fascisme, programmes TV italiens bidons, catastrophe Seveso, utopies…) place le personnage principal du Singe dans la peau d’une sorte d’Ulysse en quête d’élévation sociale dans un univers fantastique très cloisonné. Les compétences qu’il développera pour satisfaire ses ambitions l’amèneront haut, très haut, peut-être trop haut…
Titre : In Waves
Auteur : AJ Dungo
Editeur : Casterman
Date : 2019
Note : 7/9
Avis : Roman graphique où une tranche de vie dramatique de l’auteur est entremêlée de passages sur l’histoire du surf et sa genèse. Le passage ambitieux de l’un vers l’autre se fait en toute cohérence et au moyen d’un jeu sur les couleurs qui m’a beaucoup fait penser aux univers lumineux du réalisateur Soderbergh dans le film Traffic. Le dessin est épuré, révélateur certainement de la formation en design de l’auteur. Assez efficace dans les cadres à répétition où le focus est petit à petit amené sur un objet, une posture. Très efficace dans la représentation de l’océan et des vagues, fil rouge de l’album. La lecture est comme un ride idéal : très fluide. L’histoire qui met en lumière un parcours de vie est vraiment touchante et peut facilement vous flanquer la larme à l’œil. Ne faîtes pas comme-moi, ne lisez pas cela un dimanche soir à 22h.
Titre : Taïpi
Auteur : Stéphane Melchior / Benjamin Bachelier (dessin)
Editeur : Gallimard Bande Dessinée
Date : 2016
Note : 5/9
Avis : Taïpi c’est avant tout l’histoire d’une adaptation d’un roman d’aventure comme sait bien les faire Herman Melville. Inspirée du vécu de Melville, l’histoire qui nous est racontée est celle de deux marins américains qui blasés par leur capitaine décident de se faire la male lors d’une escale aux îles Marquises. Le cœur de ce roman, et donc de son adaptation, est l’histoire d’une rencontre entre deux mondes : celui des marins américains chantres du monde occidental et en parallèle celui des peuples du Pacifique. Le sujet est porteur et la confrontation de ces deux univers est d’autant plus intéressante qu’elle prend la forme d’une double lecture. On retrouve même à mon sens un peu des travaux de Frantz Fanon dans le dénouement et la chute de l’histoire qui, sans spoiler, renvoient aux multiples mécanismes de domination de l’autre en situation coloniale. On regrettera peut-être le passage trop rapide d’un moment où la communication ne passe que par le geste à des débats de fond sur les relations exclusives. A mettre également du côté des bémols un dessin un tantinet trop « naïf » qui trouve pas mal de sens dans les représentations de paysages mais qui à l’inverse en perd sur les personnages. Il s’agit en définitive d’une BD qui sans être transcendante a le mérite d’inviter au changement de focale et d’ouvrir un certain nombre de portes, notamment sur la vie d’aventurier qu’a mené Melville.